D'ici au 17 juillet prochain, le Président de la République désignera la personne qui incarnera pour 6 ans l'institution du Défenseur des Droits, à la suite de Jacques Toubon.
Les enjeux de cette nouvelle mandature sont cruciaux. C'est pourquoi le RNJA a rejoint 6 associations et fédérations accompagnées de 7 jeunes engagéˑeˑs, avec le soutien de 47 organisations, pour adresser une lettre ouverte au Président de la République et l'alerter sur l'importance de cette décision, attirer son attention sur les qualités et compétences indispensables à prendre en compte dans le choix du de∙la futur∙e Défenseur∙e des Droits et de son adjoint∙e défenseur∙e des droits des enfants.

Paris, le 24 juin 2020


Monsieur le Président de la République,


Alors qu'étaient célébrés le 20 novembre dernier les trente ans de la Convention relative aux Droits de l'enfant (CIDE), nous faisions tous le constat des avancées permises par l'existence de ces droits, mais également du chemin qui reste à parcourir pour que chaque enfant bénéficie de leur effectivité. Vous-même le rappeliez dans votre discours à l'UNESCO, la lutte en faveur des droits de l'enfant et de l'enfance en général « est un combat de longue haleine qui supposera beaucoup de mobilisation ».

En ce sens, nous – enfants et jeunes, associations, fédérations et personnalités qualifiées œuvrant en faveur des droits de l'enfant – pensons que cette mobilisation s'incarne notamment dans l'institution du Défenseur des Droits, devenue aujourd'hui incontournable et indispensable dans ce combat pour le respect des droits de chaque enfant.

D'ici au 17 juillet prochain, il vous reviendra, Monsieur le Président, après approbation des deux chambres du Parlement, de désigner leˑla successeurˑe de Monsieur Toubon dont le mandat et ceux de ses adjoint∙e∙s, au premier rang desquel∙le∙s Madame Avenard Défenseure des enfants, prendront fin.

Votre choix sera fondamental, à la fois pour que l'institution poursuive dans la voie engagée par ses prédécesseurˑeˑs, mais aussi pour qu'elle aille plus loin et relève le défi de l'effectivité des droits pour touˑteˑs. A cet égard, nous saluons l'action et l'engagement de Jacques Toubon et Geneviève Avenard qui ont œuvré activement pour sortir de l'ombre le sujet de l'enfance mais aussi celui de la jeunesse. Fortˑeˑs de l'expérience que nous avons eue en travaillant avec cette institution, nous portons un intérêt tout particulier à cette nomination et attirons votre attention sur les qualités qui nous paraissent essentielles à prendre en compte dans le choix du.de la prochainˑe Défenseurˑe des Droits et de ses adjointˑeˑs, sous le prisme des droits de l'enfant et des jeunes. Ils légitiment toute notre vigilance.

Tout d'abord, l'impartialité et l'indépendance doivent être un prérequis pour que l'institution qu'est le Défenseur des Droits puisse mener à bien sa mission et jouer son rôle de vigie au sein de notre démocratie. Aussi la personne nommée doit être suffisamment légitime et charismatique pour pouvoir exercer pleinement sa capacité d'auto-saisine et prendre les décisions courageuses, parfois clivantes, qu'impose la défense de nos droits. Jacques Toubon et Geneviève Avenard n'ont pas hésité à se positionner sur le sujet des  violences au sein des institutions publiques commises sur les enfants (novembre 2019) ou à prendre position sur la gestion du démantèlement du camp de Calais (2015-2016) ou sur la situation des enfants à Mayotte (2017 puis 2020). Nous pensons que ces prises de positions affirmées ont contribué grandement à une meilleure effectivité des droits des enfants. L'indépendance de l'institution incarnée par le la nouveauˑelle Défenseurˑe des Droits doit également être garantie par l'octroi de moyens suffisants, nécessaires à l'exercice de sa mission, comme recommandé par le Comité des droits de l'enfant dans ses observations à la France en 2016.

Il va sans dire que les droits de l'enfant, insuffisamment connus et respectés, devraient selon nous être une priorité du mandat duˑde la prochainˑe Défenseurˑe des Droits. Pour cette raison, nous appelons à ce que la personne nommée ait à cœur de défendre et promouvoir les droits de l'enfant. Pour ce faire, il doit pouvoir s'appuyer sur unˑe futurˑe Défenseurˑe des enfants, véritable expertˑe de leurs droits et en lien avec les réalités de terrain. Cette personne doit être en mesure de défendre et accompagner touˑteˑs les enfants et les jeunes, y compris ceux∙celles en situation de vulnérabilité (enfants en conflit avec la loi, accueilli∙e∙s en protection de l'enfance, en situation de handicap, mineur∙e∙s non accompagné∙e∙s etc.), pour les rendre acteur∙rice∙s de leurs droits et en mesure d'exercer leur citoyenneté pleine et entière. Nous pensons qu'en plus de mettre en avant l'enfance, il serait souhaitable que l'institution défende et associe plus visiblement la jeunesse dans sa globalité, dont on sait que l'accès aux droits est également empêché par certaines vulnérabilités. La question des droits de l'enfant ne s'arrête pas à l'âge couperet de 18 ans ; comme l'a encore une fois démontré l'actualité récente et l'interdiction des sorties sèches votée par le Parlement afin de protéger les jeunes majeurˑeˑs prisˑes en charge par les départements durant la crise sanitaire. La jeunesse mérite une attention forte avant et après 18 ans.

Il est également important que leˑla futurˑe Défenseurˑe des Droits soit capable d'incarner l'institution afin d'accroître sa visibilité et sa notoriété, notamment sur le sujet des droits de l'enfant auprès du grand public et des enfants en particulier. L'enquête « Accès aux droits »[1] rapporte que seulement 2% des personnes interrogées sont en mesure de citer spontanément l'institution du Défenseur des Droits comme un des acteurs de défense des droits de l'enfant. En conséquence, trop peu de citoyen∙ne∙s savent qu'ilˑelleˑs peuvent leˑla saisir sur la question de l'enfance, laquelle ne représente que 2,8% des réclamations enregistrées par l'institution en 2019. La fonction de Défenseurˑe des Enfants doit elle aussi être beaucoup plus visible, médiatisée et connue du grand public et des enfants et des jeunes afin qu'ilˑelle devienne, pour reprendre l'expression des enfants, unˑe « super hérosˑïne » pour défendre touˑteˑs les enfants de la République et leurs droits. Aussi, le∙la prochain∙e Défenseur∙e des Droits devra encore accentuer la promotion des droits de l'enfant, encore trop méconnus du grand public et des enfants eux-mêmes ; la campagne menée en 2019 sur les médias ou le développement des JADE[2] sont des expériences positives à poursuivre et consolider.

Par ailleurs, nous souhaitons que leˑla futurˑe Défenseurˑe des Droits s'inscrive dans une posture d'écoute, de dialogue et poursuive une collaboration active avec les organisations de la société civile. Il nous semble important qu'elle s'engage à consolider les bases posées pour la participation effective des enfants et des jeunes ; notamment en pérennisant le dispositif mis en place au niveau national en 2019 en lien étroit avec les associations. Nous appelons à ce que s'instaure un dialogue régulier avec les enfants et les jeunes, et qu'un comité de jeunes pérenne soit créé. Pour aller plus loin, nous recommandons également que deux jeunes soient désigné∙e∙s pour siéger officiellement au sein du collège de défense des droits de l'enfant durant la prochaine mandature.

Enfin, leˑla futur.e Défenseurˑe devra se mobiliser pour promouvoir et soutenir la défense des droits de l'enfant aux niveaux européen et international à travers les réseaux de l'AOMF[3] ou d'ENOC[4] ;  mais aussi plus largement dans les pays partenaires de la France. Encore trop peu de pays sont dotés d'institutions indépendantes de défense des droits de l'enfant. Pour cela, nous, enfants et jeunes, associations et fédérations pensons que la France doit promouvoir les droits de l'enfant partout et sans restriction et encourager - notamment dans le cadre de sa politique de coopération pour le développement - ses États partenaires à créer ou consolider de telles institutions et à y allouer les fonds nécessaires.

A travers cette lettre ouverte, Monsieur le Président, nous tenons à vous témoigner de notre attachement à cette institution, à son rôle prépondérant dans le bon fonctionnement de notre démocratie. La situation des enfants mérite une attention accrue des pouvoirs publics : en France, 3 millions d'enfants vivent en situation de pauvreté dont 600 000 sont mal logéˑeˑs ou encore, dans le monde, 265 millions d'enfants sont encore non scolarisé∙e∙s. Cette liste n'est pas exhaustive et vous savez bien que, sans intervention ciblée en faveur des enfants et des jeunes et de l'effectivité de leurs droits, les inégalités de destins ne cesseront de se perpétuer.

Nous comptons sur vous pour que la promotion et l'effectivité des droits de l'enfant guident votre choix au moment de désigner le∙la futur∙e Défenseur∙e des Droits.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président de la République, l'assurance de notre considération distinguée.

Signataires :
- Membres du Comité de rédaction

Associations et Fédérations : Mathieu Cahn (ANACEJ); Marielle Thuau (Citoyens et Justice); Huguette Debrouwer (OCCE); Hélène Grimbelle (RNJA); Daniel Barroy (SOS Villages d'Enfants France); Sébastien Lyon (UNICEF France); Patrick Doutreligne (UNIOPSS).
Jeunes engagé·e·s : Mamédi Diarra (Repairs! 94); Lyes Louffok (Conseil National de la Protection de l'enfance); Elsa Marignac (Comité jeune Anacej); Léo Mathey (Repairs ! 75); Laurie Mercier, jeune engagée; Maelys, jeune engagée; Max (Comité jeune Anacej).

- Avec le soutien de :
Baptiste Thevelin (Animafac); Magali Bachelier (Accent Petite Enfance):  Stéphanie Goyheneix (ACEPP); Patrick Raymond (Action Catholique des Enfants); Jean-Patrick Bebin (ADAES 44); François Delacourt (Association des ITEP et de leurs réseaux); Noanne Tenneson (AADH); Marie-Noëlle Petitgas (ANAMAAF);  Geneviève Laurent (ANECAMSP);  Nicolas Truelle (Apprentis d'Auteuil);  Denis Legat (Asmae - Sœur Emmanuelle);  Laurence Bessard-Jacquinod (Casamasanté); Jean-Luc Cazaillon (CEMEA, Association Nationale);  Michel Guilbert (Clowns sans Frontières);  Anne-Marie Fauvet (CNLAPS);  Annie Deschamps (CODASE); Slimane Boughanemi (Contact Club); Colette Duquesne (DEI-France); Jean-Luc Pujol (Droit d'Enfance – Fondation A. Méquignon); Isabelle Richard (Entraide Protestante); Daniel Naud (Fondation de l'Armée du Salut); Julie Marty-Pichon (FNEJE); Vincent Dennery (Fondation pour l'Enfance); Julien Lesince (Forum Français de la Jeunesse); Isabelle Moret (SOS Villages d'Enfants); Xavier Boutin et Thierry Mauricet (représentants du Groupe Enfance de la CHD); Marie-Laure De Guardia (GEPSo);  Maxime Zennou (Groupe SOS Jeunesse); Hubert De Montaignac (Initiatives et Changement); Eloïse Querou (Jets d'Encre); Didier Wallace (La Vie au Grand Air/Priorité Enfance); Omar Didi (MAG Jeunes LGBT);  Yolaine Guérif (Partage avec les enfants du monde);  Alain Villez (Les Petits Frères des Pauvres); Pierre Bardo (Plan international France);  Véronique Jenn-Treye (Planète Enfants & Développement); Francis Canterini (Réseau France Parrainages); Yves Gicquello (Sauvegarde 56); Rachid Lahlou (Secours Islamique France); Tiphaine Jouniaux (SNASEN UNSA Education); Alain Canonne (Solidarité Laïque);  Arnaud Jean (UFOLEP); Guillaume Quercy (UNASSD); Marie-Jeanne Richard (UNAFAM); Héloise Moreau (Union nationale lycéenne);  Thierry Rombout (Union pour l'Enfance); Marie Mitterrand (Yara LNC); Fouzy Mathey (Yes ! for Humanity).

[1] Enquête sur l'accès aux droits – Place et défense des droits de l'enfant en France – 2017 - https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=16475

[2] Jeunes Ambassadeur∙rice∙s aux Droits de l'Enfant                                                                                 

[3] Association des Ombudsman et Médiateurs Francophones

[4] European network of Ombudspersons for children